samedi 23 mars 2013

Les voix des poètes - 15

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Page après page

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Je me feuillette
En marge
De ma propre vie
De l'autre côté
De mes miroirs

Page après page
Je me raconte
Pour tisser
D'autres rêveries

Page après page
Je m'effeuillette
Ligne après ligne
Jusqu'à me dénuder
Je dors sous une tonnelle
Je regarde le temps passer.

Andrée Chédid, in L'Etoffe de l'univers, Flammarion, 2010. 

vendredi 22 mars 2013

Les voix des poètes - 14

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

DVII

Le bruit
Se croqua
Et
Laissa
Ses dents
Dans les
Touches
Du piano.

Malcom de Chazal, in Sens magique, éditions Lechenal et Ritter, 1957
Extrait de La poésie surréaliste, albums Dada, Mango jeunesse, 2001.

jeudi 21 mars 2013

Les voix des poètes - 13

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Il est d'étranges soirs...

Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme,
Où dans l'air énervé flotte du repentir
Où sur la vague lente et lourde d'un soupir
Le cœur le plus secret aux lèvres vient mourir.
Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme,
Et ces soirs-là, je vais tendre comme une femme.

Il est de clairs matins, de roses se coiffant,
Où l'âme a des gaités d'eaux vives dans les roches,
Où le coeur est un ciel de Pâques plein de cloches,
Où la chair est sans tache et l'esprit sans reproches
Il est de clairs matins, de roses se coiffant.
Ces matins-là, je vais joyeux comme un enfant.

Albert Samain 1858-1900)
Extrait de 365 jours en poésie, Omnibus par France Loisirs, 2008.

mercredi 20 mars 2013

Les voix des poètes - 12

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

C'est aujourd'hui que je vous aime

La vie est simple et gaie
Le soleil clair tinte avec un bruit doux
Le son des cloches s'est calmé
Ce matin la lumière traverse tout
Ma tête est une lampe rallumée
Et la chambre où j'habite est enfin éclairée

Un seul rayon suffit
Un seul éclat de rire
Ma joie qui secoue la maison
Retient ceux qui voudraient mourir
Par les notes de sa chanson

Je chante faux
Ah que c'est drôle
Ma bouche ouverte à tous les vents
Lance partout des notes folles
Qui sortent je ne sais comment
Pour voler vers d'autres oreilles

Entendez je ne suis pas fou
Je ris au bas de l'escalier
Devant la porte grande ouverte
Dans le soleil éparpillé
Au mur parmi la vigne verte
Et mes bras sont tendus vers vous

C'est aujourd'hui que je vous aime

Pierre Reverdy (1889-1960) in Plupart du temps, Flammarion.
Extrait de Les cent poèmes du bonheur, éditions Omnibus, 2002.

mardi 19 mars 2013

Les voix des poètes - 11

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Maillon de la cadène

avec des bouts de ficelle
avec des rognures de bois
avec de tout tous les morceaux bas
avec les coups bas
avec des feuilles mortes ramassées à la pelle
avec des restants de draps
avec des lassos lacérés
avec des mailles forcées de cadène
avec des ossements de murènes
avec des fouets arrachés
avec des conques marines
avec des drapeaux et des tombes dépareillées
        par rhombes*
        et trombes
te bâtir

*rhombe : instrument traditionnel

Aimé Césaire, in Moi, laminaire..., Le Seuil, Points, 2006
Extrait de La poésie antillaise, albums Dada, Mango jeunesse, 2006

lundi 18 mars 2013

Les voix des poètes - 10

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Feu

L'alléluia des arbres
en ce dimanche au goût d'orange
où mord depuis toujours
la berceuse des steppes alanguies
coiffées de lune ou de soleil
circule parmi les feuilles trop vieilles
pour dompter ma sève
qui s'énerve
fermons les yeux
vivons à l'envers du jour
de l'autre côté du vent et de la pluie
nous taillerons nos rêves et nos délires
dans l'écorce du citronnier

Mukala Kadima-Nzuji, poète congolais (Rép. populaire du Congo) né en 1947.
In Redire les mots anciens, éditions Saint-Germain-des-prés, 1977.
Extrait de La poésie africaine, album Dada, Mango jeunesse, 2005.

dimanche 17 mars 2013

Les voix des poètes - 9

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Quand rien
Ne chante pour toi,

Chante-toi
Toi-même.

Eugène Guillevic in Le Chant, Gallimard.
Extrait de Il pleut des poèmes, Rue du Monde, 2003

samedi 16 mars 2013

Les voix des poètes - 8

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Rue Chose

Il y a trois escafilottes
trois escarbeilles
trois escasses
trois ascaumes
trois escaupilles
trois esquipots
trois estamentaires
trois éteufs
trois étibois
trois etnettes
trois éventions
soit trente-six trucs
dans la rue de la rue de la rue
qu'on ne parvient pas à nommer

Raymond Queneau in Courir les rues, Gallimard.
Extrait de Le tireur de langue, éditions Rue du monde, 2000

vendredi 15 mars 2013

Les voix des poètes - 7

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Cri du cœur

C'est pas seulement ma voix qui chante
c'est d'autres voix une foule de voix
voix d'aujourd'hui ou d'autrefois
Des voix marrantes ensoleillées
désespérées émerveillées
Voix déchirantes et brisées
voix souriantes et affolées
folles de douleurs et de gaieté

C'est la voix d'un chagrin tout neuf
la voix de l'amour mort ou vif
la voix d'un pauvre fugitif
la voix d'un noyé qui fait plouf
c'est la voix d'un oiseau craintif
la voix d'un moineau mort de froid
sur le pavé d'la rue de la Joie
Tout simplement la voix d'un piaf

Et toujours toujours quand je chante
cet oiseau-là chante avec moi
Toujours toujours encore vivante
sa pauvre voix tremble pour moi
Si je disais tout ce qu'il chante
tout c'que j'ai vu et tout c'que je sais
j'en dirais trop et pas assez
Et tout ça je veux l'oublier

D'autres voix chantent un vieux refrain
c'est leur souvenir c'est plus le mien
je n'ai plus qu'un seul cri du coeur
j'aime pas le malheur j'aime pas le malheur
et le malheur me le rend bien
mais je l'connais il m'fait plus peur
il dit qu'on est mariés ensemble
même si c'est vrai je n'en crois rien

Sans pitié j'écrase mes larmes
je leur fais pas d'publicité
Si on tirait l'signal d'alarme
pour des chagrins particuliers
jamais les trains n'pourraient rouler
Et je regarde le paysage
si par hasard il est trop laid
j'attends qu'il se r'fasse une beauté

Et les douaniers du désespoir
peuvent bien éventrer mes bagages
me palper et me questionner
j'ai jamais rien à déclarer
L'amour comme moi part en voyage
un jour je le rencontrerai
A peine j'aurai vu son visage
tout de suite je le reconnaitrai. 

Jacques Prévert in D'autres histoires.
Extrait de Jacques Prévert, mis en images par Gabriel Lefebvre, La Renaissance du Livre, 2002.

jeudi 14 mars 2013

Les voix des poètes - 6

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Dit de la force de l'amour

Entre tous mes tourments entre la mort et moi
Entre mon désespoir et la raison de vivre
Il y a l'injustice et ce malheur des hommes
Que je ne peux admettre il y a ma colère

Il y a les maquis couleur de sang d'Espagne
Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce
Le pain le sang  le ciel et le droit à l'espoir
Pour tous les innocents qui haïssent le mal

La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renait qui n'en a pas fini
Un bourgeon sort du noir et la chaleur s'installe

Et la chaleur aura raison des égoïstes
Leurs sens atrophiés n'y résisteront pas
J'entends le feu parler en riant de tiédeur
J'entends un homme dire qu'il n'a pas souffert

Toi qui fus de ma chair la conscience sensible
Toi que j'aime à jamais toi qui m'as inventé
Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre

Tu rêvais d'être libre et je te continue.

13 avril 1947, par Paul Eluard.
Extrait de Le Eluard, album Dada, Mango jeunesse éditions, 2002.

mercredi 13 mars 2013

Les voix des poètes - 5

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

L'allumette

Le feu faisait un corps à l'allumette.
Un corps vivant, avec ses gestes,
son exaltation, sa courte histoire.
Les gaz émanés d'elle flambaient,
lui donnaient ailes et robes, un corps même :
une forme mouvante,
émouvante.

Ce fut rapide.

La tête seulement a pouvoir de s'enflammer,
au contact d'une réalité dure,
- et l'on entend alors comme le pistolet du starter.
Mais, dés qu'elle a pris,
la flamme
- en droite ligne, vite et la voile penchée
comme un bateau de régate -
parcourt tout le petit bout de bois,

Qu'à peine a-t-elle viré de bord
finalement elle laisse
aussi noir qu'un curé.

Francis Ponge.
Extrait de Le Francis Ponge, album Dada, Mango jeunesse éditions, 2001.

mardi 12 mars 2013

Les voix des poètes - 4

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Deux verbes en creux

J'écoute je me tais
Je me tais pour écouter,
(pour mieux écouter),
Je me tais parce que j'écoute
Si je ne me tais pas je n'écoute plus.

(Taisez-vous !
Taisez-vous et écoutez !
Ecoutez-le se taire
Il se tait il se taira
vous l'écouterez.)

Si j'étais celui qui écoute
seulement pour écouter
si j'étais celui qui se tait
simplement pour se taire
vous ne cesseriez d'écouter
vous auriez peur que je me taise

Mais je ne me tais pas non je ne me tais
pas encore. Je ne pourrais jamais
me taire. Je ne cesse pas d'écouter.

Jean Tardieu in Comme ceci comme cela, éditions Gallimard.
Extrait de Le Tardieu, album Dada, Mango jeunesse éditions, 2003

lundi 11 mars 2013

Les voix des poètes - 3

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

Son joyeux, importun, d'un clavecin sonore.
(Pétrus Borel)*

Le piano que baise une main frêle 
Luit dans le soir rose et gris, vaguement,
Tandis qu'un très léger bruit d'aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant
R$ode discret, épeuré quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumé d'Elle.

Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlote mon pauvre être ?
Que voudrais-tu de moi, doux chant badin ?
Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui va bientôt mourir vers la fenêtre
Ouverte un peu sur le petit jardin ?

Paul Verlaine.
Extrait de Cent poèmes de Paul Verlaine, éditions Omnibus, 2011.

Pétrus Borel est un poète, traducteur, écrivain né à Lyon et mort en Algérie (1809-1859). Pour en savoir plus et découvrir ses poèmes, cliquez ici.

dimanche 10 mars 2013

Les voix des poètes - 2

Alchimie du verbe

A moi. L'histoire d'une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents ; je croyais à tous les enchantements.
J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.

Arthur Rimbaud in Une saison en enfer.
Extrait de Cent poèmes de A. Rimbaud, éditions Omnibus, 2012.

samedi 9 mars 2013

Les voix des poètes - 1

Fêtons le printemps des poètes en savourant les mots des grands !

L'Ecoute-Silence

Ecouter ce que dit le vent quand il ne dit plus rien
mais reprend souffle et se souvient
d'avoir été si haletant après sa course
sa course de vent qui court après le vent
Que dit le vent quand il se tait ?
Que dit le silence du vent ?

Ecouter ce que dit la pluie
quand un instant elle fait halte
et cesse l'espace de trois mesures
de tambouriner ses doigts d'eau
sur le toit et les carreaux
Que dit la pluie quand elle se tait ?
Que dit le silence de la pluie ?

Ecouter ce que dit la mésange nonnette
quand elle suspend ses roulades
et que son chant dans le matin clair
reste en filigrane dans l'air
Que dit l'oiseau quand il se tait ?
Que dit le silence de la mésange ?

Le silence dit que le silence
écoute couler la source du chant

Claude Roy, in A la lisière du temps (1984). 
Extrait de Poèmes de Claude Roy, anthologie proposée par Benoit Marchon, dessins de Frédéric Rébéna, éditions Bayard Jeunesse, 2010.

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